La passion dépend-elle de la compassion? Les deux mots ne semblent pas aller de pair. Pourtant, ce matin, sans compassion, la passion du métier aurait été impossible. C'est pareil à chaque rentrée universitaire, à chaque cours introductif. Au premier contact, il est impératif de motiver mes étudiants, de leur expliquer les vertus de l'université, de faire disparaître de leurs esprits tourmentés les idées noires qui les hantent. Pour la majorité des étudiants, la fac, c'est un choix imposé faute de mieux, c'est le dernier refuge, c'est «une usine de fabrication de chômeurs» comme l'a déclaré non sans sens de l'irresponsabilité un haut responsable, qui n'est pas seulement un membre du gouvernement, il était aussi le ministre en charge de l'enseignement supérieur!
Il faut donc, pour goûter à ma passion de l'enseignement, chasser les idées reçues, effacer les effets des discours officiels et officieux, calmer les esprits et redonner l'espoir à mon public. J'imagine que ce n'est pas le cas pour tous les profs. Certains sont plus pragmatiques et donnent leur premier comme leur dernier cours de l'année en toute indifférence à l'état d'esprit de leurs étudiants. Pour moi, ce n'est pas un travail comme tous les autres. Il doit y avoir une relation et une certaine complicité entre l'enseignant et ses étudiants.
Or, me confondre à un représentant du système est déjà un mauvais départ. Je me positionne plutôt du côté des étudiants. Comme eux je suis victime moi aussi du système dans lequel nous sommes tous piégés, mais que l'on peut faire fonctionner ensemble à notre avantage.
C'est la passion qui m'anime qui me donne la force de compréhension et de compassion à l'égard des jeunes bacheliers qui débarquent à l'université en ayant en tête une seule idée : «Je suis un raté», «j'ai foutu ma vie en l'air», «,j'aurai dû...Mais maintenant c'est trop tard». Ces créatures qui se lamentent, qui se déchirent, qui souffrent tout simplement ne peuvent constituer un public idéal avec lequel chaque cours sera un moment de plaisir attendu avec impatience chaque semaine.
La passion est donc tributaire de la compassion. Une compassion réciproque, bilatérale. L'enseignant, lui aussi, est désabusé, frustré et ballotté de toutes part et ne saurait rester passionné et faire des cours passionnants qu'en passionnant ses étudiants et les faire adhérer à la passion complice non pas de l'enseignement et l'apprentissage, mais plutôt à celle du partage du savoir et à l'envie d'être meilleur, si ce n'est pour soi, au moins pour les autres.
Rédigé à Safi le 5/10/2018
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