Géant, mais impuissant! Indomptable, mais coincé... C'est l'histoire de cette cigogne retrouvée ici à Chellah paralysée de peur, atterrée, mais ne pouvant plus planer dans les airs. Rien et personne ne semble accorder d'intérêt à une situation aussi critique. C'est comme s'il s'agissait d'un personnage en phase terminale d'un cancer. On n'attend plus rien. On le regarde mourir. C'est tout. J'ai expliqué à ma fille qu'il s'agit d'une vieille cigogne qui ne peut plus atteindre les cieux. Elle ne peut même plus voler. C'est comme si elle était privée de ses ailes. Ce géant que personne ne pouvait approcher était là, coincé entre quatre murs d'une époque médiévale.
Ce n'était pas une jeune cigogne, sinon les parents auraient couru et hurlé à notre approche. Personne ne se souciait du sort de cette vieille cigogne auparavant perchée sur les endroits les plus élevés (minarets et autres...). Ce géant des cieux n'a plus sa place dans aucun des sept cieux. Il ne joue plus dans la cour des grands. Il est là à espérer retrouver sa vigueur d'antan avant qu'un prédateur sans scrupules vienne l'achever. Malheureusement pour lui, c'est ainsi que sera faite la fin. C'est de cette manière que se terminera son calvaire. Quelle fin pour un maître des cieux!
Il aurait aimé qu'une balle imprévisible le frappe en plein vol. Au moins, il n'aurait pas été contraint à méditer longuement sur son sort, sans doute si scellé qu'il n'en doutait plus. Accepte-t-il ce sort? Est-il un mâle ou une femelle? Je n'en sais pas plus que vous. Ce que je sais, c'est que ce vaillant du ciel se trouve maintenant en bas, à terre. Lui, comme chacun de nous un jour, se retrouvera dans pareille position. Mais ce sera avec moins d'amertume que ceux qui n'ont jamais volé pourraient accepter leur position. Un ange déchu est sans doute un ennemi. Une cigogne déchue, détrônée, poussée en bas fait partie du règne animal et de la condition humaine aussi. Mais, contrairement aux humains, plus malins et qui trouvent une explication à tout, lui ne comprend sans doute pas ce qui lui arrive. Cela me rappelle un diplômé chômeur qui a été surpris que c'est lui qu'un gars en uniforme matraquait si violemment qu'il avait perdu conscience. Cela me rappelle aussi le fameux poème «L'albatros» dans lequel Baudelaire se voit lui-même comme cet albatros malmené par les hommes d'équipage d'un navire, celui-là même qui n'était en mer que pour priver l'oiseau de sa subsistance.
J'ai sans doute trouvé du plaisir à être si près d'une créature si géante et si intouchable, mais j'ai éprouvé aussi de la compassion pour une créature que le temps a su rendre si impuissante!